4 septembre 2013

Grillé, le kebab chic

Le faut pas?


Ouvert depuis un mois environ, ce kebab gourmet déchaine la planète foodista et révèle nos dissensions en choisissant de "l’embourgeoiser"


Grillé a commis une grosse erreur et un faux pas. Faut pas transformer un plat populaire et bon marché en recette élaborée. C'est un sacrilège et une erreur stratégique, en terme d'image bien sûr, pas en terme de simple plaisir gourmand ou même de succès auprès de la clientèle.


C'est clair!

Vous êtes alors grillé par les commentateurs du net. Il faut savoir qu'il y a maintenant une allergie au "name dropping", cette mise en avant de noms célèbres de la gastronomie dans un projet. Grillé a fait l'erreur de choisir un des meilleurs bouchers de France, Hugo Desnoyer, un des meilleurs maraîchers sur la place de Paris, Terroirs d'Avenirs, et d’être le projet d'un chef renommé, Fred Peneau du ChateaubriandImpardonnable!



Si en plus, le lieu a du succès et est apprécié des hipsters, vous cumulez les fautes et multipliez les malus par 2x2=4. Faire la queue dans un lieu dont on parle, vous fera passer actuellement pour un suiveur sans personnalité, voire même un con. 
Le fameux argument bateau: "il n'a rien d'exceptionnel" revient en force. Moins on est capable de sentir la délicatesse du veau de Corrèze élevé sous la mer mère, la marinade maison, le déglaçage au citron qui le désécoeure, les olives taggiasche, les épices, les herbes rafraîchissantes, et j'en passe, et plus on a le droit de râler sur internet. 

C'est tout petit! Mais il y a 1 terrasse.
En évitant les considérations subjectives et personnelles inintéressantes (du genre, j'en ai mangé un meilleur, et à 1€ de moins), on comprend que l’objectif est de monter en gamme un plat souvent négligé dans sa qualité de fabrication (la broche qui stagne souvent à froid et resservie le lendemain, est ici débarrassée le jour même), la fraîcheur, l'origine des ingrédients (de bonnes vidéos d'usines à broches immondes d'Allemagne, le principal fournisseur de la France, tournent sur internet) et l'équilibre gras/saveurs/épices. Il faut donc comprendre qu'il s'agit d'une recette à plusieurs étapes (cuisson séparée, sauces maisons du jour, marinades) à partir de produits livrés le matin même et non d'un simple empilement de viande aux épices. C'est un kebab gourmet, fin et délicat. On a tout à fait le droit de ne pas aimer, de ne pas apprécier la démarche mais de dire que c'est mauvais ou inintéressant est de la pure mauvaise foi (de veau).

Même la déco divise!
Le Kebab est souvent trop gras et trop fort à cause de mauvais produits et d'une viande ordinaire. Celui-ci est très subtil, ce qui déroute au premier abord. Les proprios n'auraient peut-être pas du prendre du veau au début. Ils vont sans doute servir de l'agneau, voire du porc bientôt. Dans ce cas, il est possible que les amateurs se réconcilient. Une 2e broche est à l'étude également.
Beau mais pas au top
Attention, il n'est pas exempt de critiques, mais pas de critiques "de classe". Le pain, maison, cuit sur place, élaboré à partir d'une recette très spéciale qui a nécessitée près de 6 mois de travail avec Poujeauran, est composé de farine d’épeautre bio. Sa saveur est un peu trop soutenue par rapport à la viande et sa texture trop dure, surtout quand le pain refroidit. Le four produit une fumée malodorante et persistante; vous serez re-grillé! De même, les frites maisons et fraîches également, cuites en 3 bains sont restées trop molles avec un goût d'huile. Et enfin, le sandwich est un peu sec malgré des sauces maisons fabuleuses dont la verte: pulpe de tomate verte, piment vert, oignons doux de Sicile.


Pour ce qui est du prix, il est justifié par les ingrédients (8.50€) et il n'y a pas vraiment d'équivalent (cela va venir, en food truck). On ne peut décemment pas le comparer avec un kebab ordinaire. Attention aux horaires serrés (12/14h) bien qu'ils prévoient une ouverture le soir, ainsi qu'un 2e établissement rive gauche.

En résumé, une autre version du kebab, plus ambitieuse et délicate, pas encore parfaite et qui peut décevoir mais qui propose une nouvelle recette exigeante avec de nouvelles saveurs. Prometteur.


Grillé
15 rue Saint-Augustin, 75002 Paris
Ouvert du lundi au mardi de 12h à 14h
8,50 € le kebab, 3 € pour des frites.

Ouverture prochaine le soir et rive gauche.

8 commentaires:

  1. c'est donc du kebab au veau marin ?

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    1. C'est peut-être pour ça que les clients trouvent l'addition salée! Le correcteur orthographique n'est pas très gourmand, et mes yeux embués n'ont pas vu l'erreur malgré les relectures.
      Merci au lecteur vigilant.

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  2. C'est très parisien de transformer des plats populaire et pas forcement très sains en quelques chose d'élaboré et sain.. Mais c'est a l'image de la ville.. Faire dans la démesure pour plaire a une lubie. Un pain sain autre que l'habituel pain industriel, des crudités fraiches d'une bonne qualité, une viande elle aussi de bonne qualité, ça suffit, le kebab aurait coûté 5 euros. Mais non il faut la viande du "best" boucher, les épices de la " best " des qualité et les crudités de la " best " épicerie " bobo " de la ville. C'est sur que ça plait a une certaine mentalité parisienne mais il y a plus simple et moins cher (8.50 !!) pour faire bon et sain..

    Et en même temps c'est vrai que vu de l'exterieur de cette mégasphère, voir les gens courir a gauche et a droite pour se précipiter à tester, comme ils disent, les endroits à la mode pour vérifier si c'est bien comme ce qu'on leur a venté pour en suite le venter aux autres, ben c'est asse ridicule, ça fait même un peu pitié je trouve.

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    1. A chaque fois que je vois le mot bobo dans un commentaire, je suis inquiet. C'est toujours le même type de commentaire. Casser du sucre, se défouler avec un concept bien creux.
      C'est un terme qui ne veut rien dire, une sorte de point Goodwill qui permet de se rassurer et de croire qu'on est du bon côté, de ceux qui savent et non de ces abrutis de parisiens à la mode sans jugement et sans cervelle. C'est pour ça que je vais à Londres, pour échapper à cette maladie de l’étiquette, de la catégorie et de la critique sur des images. Ça fait toujours bien de dire que quelque chose est nulle, n'apporte rien, surtout si c'est nouveau et encore plus anglo-saxons. Là-bas, pas de préjugés, on est content de la nouveauté, on goute, on teste, si ça plait tant mieux, si c'est naze on y va plus et le business ferme. Ici, on critique par ennui ou par frustration ou par méchanceté peut-être.

      Moi je me fous de tous ça, je goute et je vois si c'est bon et interessant. Sans classement ni opinion, vous l'aurez remarquez j’espère. Je tente de décrire pour que chacun puisse se faire son appréciation.
      Pourquoi un chef n'aurait pas le droit d'utiliser les meilleurs produits? Cela n'a aucun sens gastronomique. Ou ne pas aller manger un bon plat à cause d'un préjugé de fausse classe! C'est très franchouillard de vouloir que tout soit moyen: pas trop de couleurs, de chichi, de préparations, pas trop chic non plus.
      Pourquoi en pas être plus tolérant et comprendre ce qui se passe aujourd'hui: il y a moins de distinction entre cuisine noble ou populaire, les 2 s’interpénètrent et se mélangent. Ce n'est pas parisien, c'est mondial. Depuis quand le "ça suffit" sert de référence en terme de nourriture. Laissons les chef avoir de l'ambition et de l'exigence, même pour les plats quotidiens, en les revisitant au besoin. Et surtout ne faisons pas une seule catégorie des mangeurs, il en faut pour toutes les catégories, citadin, bobo (mais qu'est-ce qu'ils vous ont fait?), hipster, travailleurs, ouvriers, chiens martiens, etc...
      8.5€ pour 1 kebab à Paris, c'est pas la mer à boire, ni la Seine. L'important c'est de savoir si ça les vaut. A mon sens oui avec un peu plus de viande. D'autant que la clientèle n'est absolument pas celle que l'on croit; mais il faut y aller pour le voir: des touristes, des jeunes et les salariés du coin. Attention, je ne dis pas que c'est top ou que c'est le meilleur, ni que cela plait à tous le monde mais que cela correspond au gout de ceux qui sont exigeant avec les matières premières et qui aimerait plus de travail même et surtout, pour de la cuisine "légère". D'autant que le résultat n'est pas parfait.
      Le point de vue qui consiste à regarder avec pitié des "gens" enthousiastes et curieux de gouter de nouvelles saveurs et savoir si cela leur convient, n'est ni neutre, ni extérieure mais condescendante et méprisante, pleine de ce que Nietzsche appelle le ressentiment. La meilleure façon de fausser ses jugements tout en se parant de vertu.

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  3. J'ai parlé d'épicerie bobo parce qu'elle est qualifiée de telle ici et là, moi bobo je ne sais pas trop ce que ça veut dire et par certains cotés je fais peut être aussi parti du lot comme dirait l'autre..
    Sinon je suis totalement d'accord avec votre premier paragraphe, je ne sais pas si j'étais visé mais je ne me suis pas senti concerné.. L'appréciation d'une chose pour la découverte et l'évolution sans être dans la comparaison est un état d'esprit vers lequel il faudait un peu plus tendre dans la capitale française.

    Pour la suite, vous avez peut mal compris ce que j'ai voulu dire. Je parlais déja de l'excée de ce genre de démarche, vous me caricaturez presque en disant "on veut que tout sois moyen, sans chichi, sans couleurs.. ". Je le redis peut être mais on peut prendre des matières d'excellente qualité pour son commerce, c'est même conseillé mais dans ce cas là cela, utiliser des noms bien connus ressemble plus a un argument marketing visant a faire du bruit et a plaire a une attirer une certaine clientelle, de plus a un prix très élitiste, qui en rebutera beaucoup et qui donc donne cette impression. Moi je trouve que cette démarche manque d'humilité et je ne veut pas participer a ça. C'est bien de foncer tête baissée : _gouter, c'est bon, _re gouter, c'est pas bon, mais des fois c'est utile de prendre du recul, de réfléchir un peu et d'avoir un peu de personnalité et d'essayer de réagir face a certaines choses, d'essayer de ne être que des consommateurs..


    "Pourquoi en pas être plus tolérant et comprendre ce qui se passe aujourd'hui: il y a moins de distinction entre cuisine noble ou populaire, les 2 s’interpénètrent et se mélangent. Ce n'est pas parisien, c'est mondial."

    Tout a fait d'accord avec ça, je n'avais jamais dit le contraire, j'ai juste dit que c'est une mode très parisienne que de chercher l'exeptionnel, l'unique et que c'est un concept qui plait,donc rien a voir avec un type de nourriture en particulier, cela s'applique a tout..

    On ne triche pas avec le ressenti, vous savez, c'est comme ça.. Les modes me font effectivement de la peine et beaucoup de choses me procurent de la tristesse chez les gens, après libre a vous de me catégoriser comme vous le voulez..

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    1. J'ai profité de votre commentaire pour mettre certaines choses au point. Et pourtant, l'article anticipait ce genre de réactions.

      Comme si l’ennemi de la gastronomie aujourd'hui était le bobo ou le "name dropping"! L’ennemi commun, c'est l'industrie agro-alimentaire et sa tentative permanente pour nous faire croire que l'on peut manger de la qualité à peu de frais, et sans effort.
      Ce n'est pas les restaurateurs qui balancent des noms mais la presse, c'est elle la coupable. Cela s'appelle du sourcing et je ne vois pas ou est le problème. Si Annie Bertin ou Terroirs d'Avenir font du bon, on en profite au lieu de mettre des étiquettes fumeuses.
      C'est encore de la frustration et de l'incompréhension que de croire que tout ce qui est à la mode ou nouveau est sans intérêt et forcément bidon. En ce moment, la street a le vent en poupe, eh bien tant mieux! Et c'est même salutaire. Ceux qui essayent de courir après pour être dans le coup sont peut-être "pathétiques" comme vous dites (moi je ne juge pas) mais mon blog étant spécialisé la-dessus cela fait 2 ans que j'attends ça. Au début, je n'avais que très peu d'adresses à tester et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai élargi à Londres. Des ouvertures en continu (enfin pourvoir manger à 15/16h) du frais minute avec des produits de qualité des recettes nouvelles qui changent des sempiternelles mauvaises quiches, alléluia!
      Avoir du recul pour moi, c'est arrêter de juger avant de gouter ou de regarder si c'est à la mode aux US sinon on mange pas! Et s'inclure dans le mouvement plutôt que se mettre au dessus en regardant les autres me parait plus sain.
      Et je le répète, je ne vois pas pourquoi on n'a pas le droit de vouloir l'exceptionnel, pour les mêmes raisons, quelque soit le registre. Il faut de la restauration cheap, moyenne, originale, gastronomique, exceptionnel, etc pour TOUS les gouts et tous les portes-monnaies. L'arnaque, c'est quand on a les prix de la catégorie du dessus avec la qualité d'en dessous. Le point d'orgue du prix, c'est la qualité des ingrédients (puis la fraicheur, le travail, le temps de préparation, le service et le décor), l'oublié des jugements.
      La cuisine française changera vraiment quand les bons produits seront disponibles pour le plus grand nombre et c'est sans doute là-dessus que l'on se rejoint. Mais c'est loin d’être le cas actuellement.

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    2. Les concepts élitistes et prétentieux, quelques sois leurs qualités ne représentes que peu d'intêret pour moi, question de valeurs..
      Bien sur qu'on peut vouloir l'exceptionnel, mais il y a tout de même des conventions, des principes, une déontologie à respecter.

      Se mettre dans quel mouvement ? Celui de consommer, de tout tester, comparer, d'élire le meilleur, de partir manger un produit en ayant déjà une représentation précise de ce que l'on veut déguster, parce qu'on a lu tel ou tel chose sur tel blog ou site, ne respectant plus le produit et la personne qui l'a fait pour au final dire "je suis déçu, je m'attendait pas à ça, rien à voir avec celui de machin "... Non merci, cette activité n'a aucun sens si elle n'apporte pas quelque chose de constructif ou une évolution de soi.. C'est source d'énervement et de fatigue inutile.
      Rémi a eu raison de fermer son blog, 9 personnes sur 10 prenaient égoistement son site comme un supermarché où l' on faisait sa liste de course pour ensuite aller tester, comme un guide des bonnes boulangeries, sans comprendre le réel motif de son travail et ce qu'il voulait arriver à faire entendre..
      L'ennemi n'est pas l'agro pas que lui en tout cas, ça n'est malheuresement pas aussi simple que cela, du moins dans le domaine de la boulangerie ou la pâtisserie. La réalisation du fait maison est souvent même plus gerbante que l'industriel et ses disparités entre plusieurs artisans est parfois très grande..

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  4. Voici un article hilarant et pertinent de Rue89 qui résume la tension actuelle du Kebab, entre sentimentalisme, éclair de conscience et aventure...
    http://www.rue89.com/2013/10/07/tai-demande-kebab-soupe-fenouil-246352

    Il résume toute la contradiction française: on sait que c'est bon mais on ne veut pas aimer, on sait que c'est mauvais mais on adore (kebab, Nutella...)
    Le kebab, gastro-chic ou gastro-entérite? ;)

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